Episode 12: Kiyo, fille de la nuit

Tout était à nouveau silencieux dans la maison. Il était tard, ou plutôt, très tôt. Clémence était tombée de fatigue depuis quelques heures et elle s'était endormie. Sacha n'avait pas tardé à faire de même, la nuit n'avait jamais été aussi longue et aussi éprouvante.

A quelques mètres du lit conjugal, un bébé dormait dans le berceau de bois que lui avait fabriqué son père. Il semblait paisible lui aussi, mais avait poussé ses premiers cris quelques heures plus tôt.

La famille s'était agrandie d'une petite fille, qu'on avait appelée Kiyo.

Kiyo se réveilla soudainement, alors que l'aube arrivait à peine, et Clémence ouvrit les yeux, comme si elle ne s'était endormie qu'à moitié, pour veiller sur son enfant. Elle la prit alors dans ses bras en murmurant:

"Allons, chuuut... Tu vas réveiller ton papa, ce n'est pas très gentil ça..."

Elle l'embrassa sur le front, et monta à l'étage en sa compagnie.

La maison s'était un peu agrandie, et au-dessus du premier étage se trouvait maintenant un second étage. Il n'y avait pas grand-chose encore dans cette partie de la maison, mais Clémence et Sacha espérait pouvoir y installer la future chambre de Kiyo.

Clémence s'assit sur la chaise à bascule près de la fenêtre, et s'y balança pour rendormir l'enfant. Kiyo gazouillait paisiblement, et sa mère lui sourit.

Ce prénom avait été une évidence pour elle, lorsqu'elle avait pris la petite fille dans ses bras. C'était un prénom d'origine japonaise, qui signifiait "Nuit d'espoir". Et en venant au monde, Kiyo lui avait apporté tout l'espoir du monde...

Kiyo se rendormit assez rapidement, malgré le jour qui pointait le bout de son nez. Clémence la déposa alors doucement dans son berceau, et elle s'aperçut que Sacha avait déjà quitté le lit. Il s'était sans doute réveillé pendant qu'elle était en haut, et devait être dans la cuisine.

Ce qui s'avéra vrai et elle le vit en bas, qui l'attendait.

"Sacha? Il est tôt!
-Je pourrais te dire la même chose! Tu devrais encore te reposer...
-Je vais bien, ne t'en fais pas... Et toi?
-Bien sûr... Elle s'est rendormie?
-Oui!"

Sacha lui sourit et la prit dans ses bras.

"C'est le plus beau bébé du monde!
-C'est sans doute parce que tu es son père!
-Mais aussi parce que c'est toi sa mère... Je me demande de qui elle tiendra.
-Bonne question! Vous n'avez pas une solution pour y remédier, chez les sirènes?
-Malheureusement non!"

Le jeune homme se mit à rire et il l'embrassa, car il était heureux.

Puis il fut temps pour eux de se séparer. Clémence retourna dans la chambre, car Kiyo s'était à nouveau réveillée.

"Tu dois avoir faim, c'est ça ma chérie? On va boire un peu de lait, ça te donnera des forces... et tu deviendras grande, comme papa!"

Sacha fit son excursion quotidienne au dehors de la maison, malgré la neige qui continuait de tomber à gros flocons. Clémence ne voulait toujours pas trop s'éloigner de la maison, et bien entendu, il n'était maintenant plus question de laisser Kiyo seule à la maison.

C'était donc à lui d'aller pêcher quelques poissons pour faire le repas quotidien. Il leur restait encore quelques légumes des récoltes précédentes, mais si l'hiver durait longtemps, les légumes, eux, n'allaient pas faire long feu.

La jeune femme sortit d'ailleurs une salade du garde-manger, elle en avait assez de devoir se nourrir exclusivement de poisson.

"Je retourne à mon régime végétarien!"

Elle se mit donc au travail, afin de faire un petit assortiment de salade et de poivron.

"Ce sera très bon! Peut-être que si j'y ajoute du varech, Sacha y goûtera?"

Mais la seule chose dont Sacha avait envie lorsqu'il rentra, c'était d'un câlin!

"Quoi! Mais tu pourrais au moins goûter à ma salade, préparée avec amour!
-Mais j'ai froid moi! Un petit câlin au père de ta fille pour le réchauffer, ce n'est rien du tout! Surtout qu'il a rapporté plein de poissons aujourd'hui!
-Bon... D'accord! Et après, tu viendras manger!
-Evidemment!"

Clémence le prit donc dans ses bras, et c'était vrai qu'il semblait glacé jusqu'en dessous de la peau.

"Sil fait trop froid, ne sors pas... Je ne veux pas que tu tombes malade, au pire, on pourra se serrer la ceinture pendant quelques temps!"

Mais Kiyo pleurait encore, et la jeune maman ne put vérifier que Sacha vida correctement son assiette de salade.

"Et bien alors, pourquoi est-ce que tu pleures autant? Tout va bien, il ne faut pas pleurer comme ça!"

A peine Kiyo fut-elle dans les bras de sa mère, qu'elle se calma. Le bébé ne semblait pas très calme durant la journée, même si elle dormait beaucoup.

Clémence dut finalement se résoudre à laisser sa progéniture dans son berceau, elle n'avais pas pris de douche depuis un moment, et il était temps de passer sous l'eau.

Lorsqu'elle croisa Sacha, il lui jeta en souriant:

"Bon courage, l'eau n'est pas très chaude...!
-Ha ha merci, c'est trop gentil de penser à moi!"

L'eau était en effet plus que froide avec la neige qui tombait toujours...

Pendant ce temps, Sacha eut tout le loisir de prendre sa fille dans ses bras.

"Hé bien, on va en profiter que maman soit à la douche pour se faire un câlin tous les deux, hein?"

Il était en effet difficile de prendre Kiyo des bras de Clémence, lorsque cette dernière s'en occupait.

En redescendant dans la pièce principale du bas, il vit la jeune femme attablée sur son calepin.

"Tu viens?" dit-il.
"Où ça?
-On va jouer.
-Jouer?"

Elle leva les yeux sur lui, et découvrit qu'il tenait un oreiller dans ses mains.

"Si tu veux jouer à ça, tu vas perdre mon coco!"

Elle se leva, prit l'un des oreillers et commença à s'acharner sur lui.

Clémence riait aux éclats, comme jamais depuis l'attaque du tigre. Sacha était heureux, il avait réussi à lui redonner ce sourire si frais et si naturel.

"Tu vas perdre, ma petite dame!
-J'étais la championne dans ma maison! J'adorais jouer à ça avec ma tante!
-Tu étais très proche de ta tante non?
-Oui! Ma tata Harmonie... On faisait les cent coups ensemble!"

Revigorée par cette petite bataille de polochons, Clémence tira son amant par le bras, et elle l'emmena dehors.

"Où on va?
-Juste là! Je vais t'apprendre à faire un bonhomme de neige. Je te l'avais promis.
-Ah oui c'est vrai! Alors...?
-D'abord, tu dois faire rouler de la neige comme ça..."

Sacha la regardait avec avidité. Il ne s'était jamais laissé à jouer ainsi, et encore moins à faire des constructions de neige...

Il tenta de l'aider, mais il n'était cependant pas très doué. Chaque boule qu'il tentait de former finissait par se réduire en poussière de flocons, et il râlait sous les rires de la jeune femme.

Finalement, ce fut Clémence qui termina le bonhomme de neige. Avec des restes de voiles d'un vieux bateau, ils habillèrent cet étrange homme des neiges, et lui construire bras et nez avec du bois et une  carotte.

"Il est parfait! Il est comme ceux que je construisais avec ma tante...
-Tu as de la chance d'avoir connue une tante comme elle!
-Oui, c'est vrai."

Puis la jeune femme rentra à la maison, elle s'était suffisamment éloignée pour la journée. Elle n'aimait pas rester trop longtemps loin de Kiyo, qui avait régulièrement besoin de téter pour prendre des forces.

Sacha hocha la tête, puis fit quelques pas sur l'île, à la recherche de nouveaux matériaux pour la maison.

Il ne trouva absolument pas ce qu'il cherchait, mais tomba sur u bel oiseau noir qui semblait déboussolé.

"Oh... Tu es blessé toi aussi?"

Il l'observa sous toutes les coutures, mais l'oiseau ne présentait aucune blessure.

Il l'amena pourtant à la maison, au cas où.

Clémence était à nouveau sur son calepin, un crayon à la main.

"J'ai décidé que j'allais écrire notre histoire... Pour que Kiyo sache...
-Notre histoire?
-Oui... Comment je suis arrivée ici, notre encontre... Ce n'est pas comme mon journal, je veux présenter ça sous la forme d'une histoire vraie!"

Mais le livre allait devoir attendre encore un moment avant d'être terminé. Kiyo pleurait à nouveau, et il fallait aller la consoler.

"Alors, on a un gros chagrin sur le coeur? Ce n'est rien, maman est là..."

Clémence alla s'asseoir sur le lit, et se mit en quête d'allaiter Kiyo, qui semblait plus avoir faim que d'avoir fait un cauchemar.

Quant à Sacha, il tentait bravement d'apprendre quelques mots à Rin, le corbeau. Il avait décidé de lui donner un prénom, car l'oiseau ne semblait pas vouloir partir de la maison,  bien qu'il ne soit ni blessé, ni affamé.

"Dis bonjour!"

Il allait falloir de nombreuses tentatives avant que Rin ne sache parler, mais Sacha ne désespérait pas!

La jeune femme profita des derniers rayons du soleil pour aller faire un tour à la douche. Elle passa également quelques instants à se regarder dans le reflet d'une flaque d'eau.

Elle avait quelques rides qui commençaient à apparaître sur son visage... Il ne lui semblait pas qu'elle était arrivée sur l'île depuis si longtemps, et pourtant. Elle avait eu le temps de rencontrer un homme, de tomber enceinte et d'avoir un enfant. Tout cela semblait vraiment étrange, et pourtant, c'était réellement arrivé.

Rin, le corbeau, s'amusait à sortir de sa petite cage en bois pour se promener à l'intérieur de la maison, mais aussi à l'extérieur. Et à chaque fois, il revenait, content de sa petite promenade.

Sacha était étonné, à chaque fois que l'oiseau rentrait et réclamait son repas quotidien.

"Je n'ai jamais vu un oiseau s'attacher autant aux humains...
-Tu dois avoir un don avec les animaux!"

Mais le jeune père n'en était pas aussi sûr, et cela le laissait perplexe.

Mais pour l'heure, il y avait autre chose à faire dans la maison: s'occuper de la plomberie. Le robinet qu'il avait bricolé dans les toilettes commençait à fuir, et de l'eau se répandait partout sur le sol.

"Raah saleté!! Il faut que je répare ça au plus vite, avant qu'on ne soit complètement inondé..."

Il alla chercher ses outils, et se mit donc au travail.

Curieuse, Clémence se posta devant la cage de Rin, qui se mit à l'observer avec de grands yeux.

"Alors c'est toi l'oiseau mystérieux? Tu n'as pas l'air très magique non... Tu ne sais même pas encore parler je parie. Alors pourquoi tu restes avec nous, hein?"

Elle colla ses mains près de ses oreilles, et lui fit une horrible grimace. L'oiseau semblait encore plus abasourdi.

Les nuits que passait le couple étaient courtes, bien plus courtes que d'habitude. Kiyo était un bébé très sage durant la journée, mais lorsque la nuit arrivait, elle se réveillait sans cesse et pleurait jusqu'à ce qu'on vienne la prendre dans ses bras.

"Rendors-toi Sacha... Je vais y aller...
-Tu es sûre?
-Oui, oui... Je n'arrivais pas à dormir de toute façon..."

Comme les nuits étaient longues, et que Clémence ne pouvait pas dormir sous peine d'être réveillée à tout instant par Kiyo, elle prenait son calepin et continuait d'écrire son histoire.

L'écriture n'était-elle pas une sorte de thérapie? Secrètement, elle espérait que réunir tous ses souvenirs sur le papier l'aiderait à recouvrer la mémoire qu'elle avait perdue. Mais tout lui semblait tellement loin à présent, qu'elle n'avait que peu d'espoir quant à la réussite de cette thérapie.

Lorsqu'écrire l'énervait trop, parce qu'elle ne parvenait pas à faire ce qu'elle voulait, elle reposait son crayon et elle se balançait avec Kiyo dans les bras. L'enfant adorait cette chaise, et c'était dans ces moment qu'on apercevait le plus de sourires sur son petit visage.

"Il va falloir dormir maintenant ma chérie, tu ne crois pas?"

Alors sa mère la remettait dans son berceau, et Kiyo s'endormait avant que ne point le jour.

Sacha non plus ne dormait pas beaucoup. Il avait pris l'habitude de s'endormir auprès de Clémence, et son absence du lit ne l'aidait pas à trouver le sommeil. Il venait donc la voir de temps en temps, prenait des nouvelles de Kiyo et la regardait téter, puis il repartait s'occuper de la maison.

Rin avait, semble-t-il, élu définitivement son domicile auprès d'eux, et il fallait bien évidemment nettoyer toutes les saletés que l'oiseau déposait sur son passage.

"Tu n'es toujours pas décidé à me parler hein? Pourtant, je suis sûr que tu sais le faire!"

Il faisait encore froid dehors, mais les deux amoureux sortirent pour s'aérer un peu l'esprit.

"Clémence, j'ai quelque chose à te demander...
-Oui, qu'est-ce que c'est?
-Je ne sais pas trop comment ça se passe chez vous, mais... Chez nous, quand deux personnes s'aiment, elles s'unissent... C'est-à-dire qu'elles se promettent fidélité, amour...
-Oui, c'est nous ça s'appelle un mariage... Mais rassure-toi, il me serait difficile de te tromper ici!
-Haha, c'est sûr!"

Sacha lui prit les mains et la regarda tendrement.

"Que ça ne nous empêche pas de nous marier...
-Oh, tu le veux vraiment?
-Est-ce que tu veux devenir ma femme, Clémence?
-Oh! Avec joie, évidemment! Et toi alors...?
-Je veux devenir ton mari..."