9.9.15

Episode 43: Le secret de l'âge adulte


L'enfance était bel et bien partie pour Marina et sa soeur jumelle Océane. On avait fait un bel anniversaire, Alexis avait préparé un  gâteau... Kiyo était arrivée soudainement, un peu en retard, mais on ne lui en avait pas tenu rigueur. Après tout, c'était elle le chef de la maison, on n'avait pas à lui poser de questions!

Et puis l'hiver avait passé, et il touchait bientôt à sa fin. Marina s'était laissé pousser les cheveux, Océane les avait un peu coupés. Elles avaient du travailler dur pour se confectionner de nouveaux vêtements - Kiyo les avait initiées à la couture, indispensable pour ne pas mourir de froid ou vivre nu.



Courageusement, Kiyo avait décidé de parler à l'une de ses filles aînées, Marina. Pourquoi elle, elle n'en savait trop rien au fond. Simplement, elle voulait partager quelque chose de fort avec elle, et cette vision était une des expériences les plus fortes qu'elle ait jamais vécu...

"Marina, j'aimerais te parler s'il te plaît.
-Oui..?"

Elles se dirigèrent vers le salon, et prirent place sur le fauteuil de bois. Kiyo croisa les jambes, et tourna les yeux vers sa fille. Par où commencer?

"Marina, tu sais que ta grand-mère venait d'un monde plus civilisé que le nôtre...
-Oui bien sûr, tu nous as raconté son histoire cet été."


"Et tu sais que... Personne ne sait ce qu'il lui est arrivé.
-Oui, elle a embarqué à bord de ce bateau, il n'y avait personne, elle a perdu connaissance et elle s'est retrouvée sur une plage déserte... Je le sais maman!
-C'est ça..."

Kiyo fit mine de ne pas percevoir l'impatience et l'agacement de sa fille, elle devait en avoir assez d'entendre cette histoire. Cependant, il était nécessaire de se la rappeler, avant d'y apporter un nouvel élément.

"Pourtant... Je pense qu'on pourrait finalement savoir ce qu'il s'est passé ce soir-là.
-Quoi? Mais comment veux-tu, grand-mère est morte depuis des années...
-Oui, mais... j'ai eu une vision, une vision dans laquelle j'étais elle."

Marina lui lança un regard à la fois sceptique et curieux, ce qui encouragea sa mère à poursuivre son récit.


"Je...  je me suis vue à travers elle, et il y avait de l'eau... Beaucoup d'eau. C'est... C'est le bateau sur lequel Clémence était, il avait pris l'eau, il était en train de couler!
-Tu veux dire qu'il a coulé? Avant ou après qu'elle ait entendu ces hommes la kidnapper?
-Je ne sais pas trop... C'est compliqué à remettre en ordre.
-Je vois...
-Est-ce que tu me crois au moins?"

Un silence de quelques secondes s'installa, et Marina répondit:

"Bien sûr que je te crois maman... Mais cette histoire a l'air tellement compliquée. En résumé, la croisière qu'elle avait gagnée abritait des hommes qui voulaient la kidnapper. Et le bateau a soudainement pris l'eau, et...
-Et il a coulé.
-Comment?
-Je... je ne sais pas... Ou plutôt, j'ai l'impression d'avoir entendu des cris, des jurons... Comme si quelqu'un avait fait une mauvaise manoeuvre, et que le bateau avait percuté un rocher."


"Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça Marina, mais... j'ai l'impression qu'on pourrait finir par trouver ce qu'il s'est réellement passé.
-Tu... tu crois vraiment que je pourrais avoir une vision à mon tour?
-Qui sait? On n'est jamais sûr de rien, et... je ne serais certainement plus là lorsque ça t'arrivera.
-Ne dis pas ça voyons!
-Si, je le dis. Soit parce que je serais morte, soit à cause de ton projet...
-Mon projet?
-Ne fais pas semblant, je sais bien que quelque chose te trotte dans la tête...
-Oui, tu as raison... Mais je ne sais pas encore très bien où j'en suis avec ça...
-Prends ton temps. Mais n'oublie pas de venir m'en parler, si tu le souhaites."


Marina se retira et alla s'allonger sur son lit. Toute cette conversation était un peu folle, mais elle y croyait. C'était cela, l'histoire de sa famille. Une histoire un peu dingue, mais elle ne pouvait pas la négliger.

Y-avait-il un intérêt quelconque à essayer de recoller les morceaux de cette histoire? Clémence ne saurait jamais ce qu'il lui était arrivé. Kiyo non plus, et quant à elle... Si un seul souvenir devait lui revenir, cela ne l'aiderait peut-être pas à retrouver la vérité. Mais, peut-être, dans le futur... Si jamais l'un de ses héritiers parvenait à regagner la civilisation, et à réhabiliter leur nom de famille... C'était une possibilité. Elle existait, et il ne fallait pas la négliger. On ne pouvait pas prédire le futur, loin de là.


Elle soupira et s'assit face à la fenêtre. Elle parlait d'héritiers, mais qui lui disait qu'elle en aurait? Pour ça, il fallait déjà trouver un mari... Ou du moins, un géniteur. Et ce n'était pas gagné. Et puis... Qui disait qu'elle avait envie de s'ouvrir à ça? Rencontrer un homme, tomber amoureuse, ou du moins accepter de faire des enfants... Elle secoua la tête. Elle n'y avait jamais songé auparavant, et pour cause: c'était une perspective d'avenir qui la réjouissait peu. Elle ne voulait pas devenir une mère comme l'avait été la sienne. Les enfants, ça vous bouffe tout votre temps.

Et son temps à elle, il était compté. Comment Kiyo avait deviné ses projets, elle n'en savait rien. Mais elle allait poursuivre ses idées jusqu'au bout, quoi qu'il arrive. Sa mère avait l'air de lui donner son accord, c'était bon signe. Comme les fleurs de cerisier tatouées sur sa peau, elle voulait éclore en beauté...


"Qu'est-ce que tu fais?
-Je prends des notes...
-Des notes?"

Alors qu'elle s'était isolée pour consolider ses plans, Malo était arrivé dans la pièce. Cependant, Marina n'avait pas jugé utile de se cacher. Après tout, elle était très proche de son petit frère... Et il arriverait bien un moment où il faudra avouer ce projet secret.

"Oui... C'est un peu compliqué et flou pour le moment. Mais maman m'a encouragée, pour mon avenir..."


Intéressé par ce discours, Malo se leva et s'approcha.

"Est-ce que je peux voir?
-Non! Enfin... Non, désolée, pas tout de suite... Je préfère être sûre...
-D'accord je comprends...
-Ne m'en veux pas! Tu seras le premier à tout savoir dès que j'aurais terminé!
-J'y compte bien! Ça nous ferait un point commun: Pacifique, Nérée et Noé sont tout le temps en train de faire les quatre cent coups ensemble..."

Marina leva les yeux vers son frère. Se sentait-il lui aussi seul?


"Je te dirai bientôt tout, c'est promis! Tu es celui que j'aime le plus, et en qui j'ai le plus confiance tu sais!"

Elle se leva à son tour, et le serra dans ses bras. S'il y avait bien quelqu'un à qui elle devait se confier, c'était Malo... Quoi qu'en dise Kiyo.

"D'ailleurs, tu pourras peut-être m'aider...
-Comment?
-Tu verras! Je termine mes plans, et je t'en parle!"


La jeune femme passe le reste de sa soirée en compagnie de son petit frère. Il lui avait semblé si naturel de se consacrer à son projet secret, qu'elle l'avait un peu délaissé... Mais elle lui avait promis d'être toujours là pour lui, et de s'occuper de lui. Il avait bien grandi depuis, et elle aussi, mais elle tenait à cette promesse.

Autant elle pouvait se sentir éloignée de ses autres frères, autant Malo comptait énormément pour elle. Elle se sentait utile auprès de lui, et elle savait qu'elle pouvait se confier... tout du moins, elle allait le savoir très rapidement.


Océane, quant à elle, termina la soirée à faire la vaisselle. Il y avait quelques assiettes sales qui traînaient, les garçons prenaient à peine le temps de la mettre dans l'évier... Elle frotta, la va, rinça, et mit les assiettes à sécher.

Une fois la vaisselle propre, elle passa un coup d'eau sur la table, puis balaya le plancher couvert de miettes. Pacifique et Nérée n'étaient pas les plus propres de la famille, et avaient tendance à influencer Noé...


Le matin, la première chose qu'elle fit fut de faire tous les lits les uns après les autres. Tout devait être parfait, rien ne devait dépasser ou être en désordre. Une maison propre et nette n'était-elle pas le signe d'une maison en bonne santé, et d'une famille heureuse?

Elle poussa un soupir de satisfaction une fois ces maigres corvées terminées. Il était temps de commencer la journée: le jardinage, la poussière, le linge à laver et étendre pour qu'il sèche.

"Une belle journée qui s'annonce!"

Pourtant, c'était une pensée qui devenait de moins en moins convaincante au fur et à mesure des jours.


Elle se dirigea vers l'aquarium, et vérifia le nombre de poissons qui nageaient dedans. Il arrivait parfois, qu'un matin, il en manque un ou deux... Les jumeaux avaient des occupations parfois bien cruelles. Certes, ils aimaient manger du poisson cru, et Océane appréciait également ce parfum, mais ce n'était pas une raison pour les avaler vivants, ni même ce servir parmi les compagnons de la maison...

Malo était à chaque fois furieux, lui qui appréciait les animaux sauvages.


Marina prenait son petit-déjeuner dans la cuisine. Malo était déjà en train de se préparer, ils avaient prévu une petite excursion matinale tous les deux. C'était le bon moment pour lui parler, elle avait travaillé toute la nuit sur son calepin, de façon à pouvoir lui en parler le plus vite possible. Et d'après ce qu'elle avait calculé, tout était correct, tout était réalisable...

Elle avala un peu de son crumble aux framboises. Son estomac se nouait à l'approche de cette sortie, et elle devait se forcer à prendre des forces.


Elle l'emmena du côté de ce petit bout de plage qu'elle aimait tant, avec sa vieille fontaine mystérieuse, ses petites vagues, son sable fin...

"Ce que je vais te dire va peut-être te paraître dingue...
-Dis-moi, il n'y a que moi qui puisse en juger!
-Ça fait plusieurs mois que... que je fais des calculs, des schémas dans mon calepin, et j'écris tout ce qui me passe par la tête... Maman se doute de quelque chose, mais elle ne m'a pas empêché de continuer. J'ai demandé à papa de me fournir du bois, et aussi tout les matériaux nécessaires... Est-ce que tu voudrais bien m'aider à rassembler tout ça?
-Oui bien sûr, mais pour quoi faire...?"


"C'est... C'est quelque chose de totalement fou, je sais bien! Mais je n'ose pas trop t'en dire encore...
-Je devrais me contenter du bois?
-C'est difficile tu sais... Mais fais-moi confiance.
-A t'entendre parler, j'ai l'impression que...
-Que quoi?
-Je ne sais pas, on dirait que tu essaies de te construire un refuge! fit-il en étouffant un rire.
-Ah... Peut-être, qui sait?"


"Tu n'aurais pas vu Marina?"

Océane cherchait sa soeur. Elle avait besoin de lui parler, cela lui était apparu comme une évidence pendant qu'elle terminait son grand nettoyage... Mais elle était introuvable. Soit elle s'était recluse dans un coin caché de la maison, soit elle était sortie.

Elle s'était naturellement dirigée vers Nérée, qui, en bon fouineur, savait bien souvent où se trouvait chacun des membres de la famille.

"Non désolée, je crois qu'elle est sortie tôt ce matin avec Malo. Je les ai pas revus depuis.
-Bon tant pis, merci quand même."


Et tandis que la jeune femme brune s'aventurait parmi les arbres de la forêt, elle ne se doutait pas que sa soeur était en fait rentrée depuis plusieurs minutes, et qu'elle s'était attablée en compagnie de Pacifique. Ce dernier, pas dupe, la bombardait de questions: il se doutait bien qu'elle tramait quelque chose, et il voulait savoir de quoi il s'agissait.

"Alors, vas-y dis-moi!
-J'ai rien à te dire, je te le répète...
-Allez, je sais que tu caches quelque chose, je suis pas stupide non plus!
-Haha, des fois on dirait pourtant... marmonna-t-elle pour elle-même."

Elle vida son assiette, sans rien dévoiler à son frère.


Loin de toutes les préoccupations qui faisaient vivre leurs enfants, Kiyo et Alexis s'étaient assis par terre pour admirer les étoiles. Le froid de la neige ne les dérangeait plus, avec les années et la vieillesse, on s'y habituait.

La vieillesse était bel et bien là, elle était arrivée si vite, sans même prévenir... Ils s'étaient retrouvés avec des cheveux grisonnants, voire blancs, sans y prendre garde. Le temps passait à une folle allure et laissait ses traces partout où il pouvait s'agripper. Après cette terrible vision, Kiyo se sentait fatiguée, et avait grandement besoin de repos. La vie lui avait offert tout ce qu'elle pouvait, et elle n'en attendait plus rien.


Marina effectuait son pèlerinage quotidien auprès de la fontaine. C'était devenu une habitude qui la rassurait et la réconfortait. Même si son assurance grandissante lui promettait que son avenir serait tel qu'elle l'imaginait, elle voulait se sentir épaulée, et n'osait encore en parler à quelqu'un.

"Chère fontaine... J'approche du but. Bientôt, je pourrais en parler à Malo, lorsqu'il sera trop tard pour reculer... Et après, j'irai voir maman et papa. Je les convaincrai, je le sais... Après tout, ils ne pourront pas m'en empêcher, je suis assez grande pour décider moi-même."


Sans qu'elle ne puisse se retenir, Marina se mit à pleurer. Quelle genre de fille était-elle pour faire subir pareille chose à ses parents? Et que diraient ses frères? Et Océane, elle allait la juger encore plus méchamment qu'en temps normal...

"Je... Je suis désolée!"

Elle se courba un peu, tout à coup gênée par des crampes à l'estomac.

"Je ne peux pas... Je ne peux pas rester ainsi... Je ne peux pas non plus revenir en arrière... Je sais que c'est là mon destin, je sais qu'il n'y a pas d'autre solution... Tout est plus simple pour vous, mais je ne suis pas comme vous..."


Elle tenta de sécher ses larmes, puis rentra à la maison.

Cette dernière était relativement calme, si l'on faisait abstraction des ricanements de Pacifique.

"Et là, je l'ai attrapé, et je l'ai mangé tout cru!!"

Si les tritons avaient pu avoir des dents pointus, le jeune homme les aurait certainement eues. Il pouvait faire preuve d'une grande cruauté, aimait chasser les poissons, leur trancher la tête puis les vider lorsqu'il fallait les cuisiner pour Alexis, Malo et Marina.

Noé hocha légèrement la tête, un peu moins fasciné par ce genre de comportement.


"Ah tiens, vous jouez? Je peux?"

Noé avait finalement réussi à s'extirper des plans machiavéliques de son frère aîné, et venait rejoindre une partie de dominos aux côtés de Malo, Marina et Océane. Les deux soeurs avaient finalement accepté de jouer ensemble, ou plutôt l'une contre l'autre, même si elles ne s'étaient toujours pas parlé depuis des semaines.

Océane tentait de rompre le froid entre elles, mais ce n'était pas simple, surtout lorsque les garçons ne semblaient pas s'en soucier.


Elle attendit donc de se retrouver seule avec elle, et la rejoignit dans la cuisine.

"Marina?
-Mmhm...
-Je... je peux te parler cinq minutes?"

Marina détestait qu'on l'interrompt pendant ses travaux. Pourtant, elle leva les yeux et se contenta de regarder sa soeur, cette fois-là. C'était étrange de la voir lui parler, elles ne s'étaient pas adressé la parole depuis si longtemps...

Elle rangea son crayon, attentive.


Océane prit place face à elle, et prit une grande inspiration avant de se lancer.

"Eh bien voilà, je me disais que..."

Mais sa soeur se leva brusquement de sa chaise, les mains sur le ventre, le visage crispé. Prise au dépourvu, Océane ne sut que dire:

"Est-ce... est-ce que ça va?
-A... attends-moi, je... je reviens, je ne me sens pas très bien tout à coup."


Elle se dirigea vers la salle de bains, en essayant de ne pas se mettre à courir. Les crampes d'estomac revenaient, qu'avait-elle pu manger pour avoir un estomac si douloureux aujourd'hui? De plus, cela faisait plusieurs jours qu'elle mangeait peu, à cause du stress et de la pression. Quelque chose n'allait pourtant pas, elle sentait qu'elle n'était pas dans son état normal. Elle avait chaud, plus que d'habitude. La fièvre? De quelles maladies sa mère lui avait déjà parlé...?

"De toutes les maladies qu'on peut attraper ici, sans vaccins, beaucoup sont mortelles..."

Marina secoua la tête et tenta de chasser ces paroles de sa tête.


Elle eut juste le temps de se pencher au-dessus des toilettes pour rendre ce qu'elle avait avalé durant la journée.

Ce n'était pas agréable, c'était certainement la première fois qu'elle vomissait de sa vie, et elle crut bien s'étouffer. Son visage était pâle, ses yeux ternes, elle se sentait fatiguée. Elle qui avait pourtant encore tant de travail à accomplir...

Et Océane qui l'attendait dans la cuisine.


Ce changement de comportement ne lui disait rien qui vaille. Que voulait donc lui dire sa soeur? Jusqu'ici, elle n'avait fait que la disputer, et lui soumettre des remontrances qui lui gâchaient la vie. Si c'était encore pour lui crier dessus ou la houspiller, elle n'avait pas envie de l'écouter, elle avait mieux à faire.

Elle se lava soigneusement les mains, et prit sa décision. Elle allait lui dire qu'elle ne se sentait pas bien, qu'elle était sans doute malade, et qu'il fallait reporter leur conversation. Il fallait qu'elle se couche, elle se sentirait mieux demain, la fièvre serait retombée durant la nuit... Ou aurait empiré.

1 commentaire:

  1. Je veux savoir quel est ce fameux projet !
    Marina n'est pas comme tombée enceinte ?

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