7.10.15

Episode 50: Désobéissance


Pour la première fois, Malo avait pris son courage à deux mains et avait plongé dans les vastes profondeurs de l'océan.

"Mais tu es fou!! l'avait réprimandé Marina. L'eau est glacée en cette saison, tu vas tomber malade!
-On a de bons gènes ne t'inquiète pas!
-Tu n'es pas un triton je te rappelle, on n'a pas la même immunité que les autres membres de la famille.
-Tu as vu des poissons tonton?"

Luhan se fichait un peu de savoir si son oncle pouvait tomber malade, ce qui l'intéressait, c'était de connaître les créatures peuplant les profondeurs.

"Oh oui! Des murènes, des hippocampes...
-Chouette!"



Il lui tardait de pouvoir aller à son tour sous l'eau. Il commençait à savoir flotter, mais son apprentissage de la natation avait été interrompu par l'hiver.

Cependant, Marina le laissait vagabonder dans l'île.

"Tiens, j'ai découvert un phare l'autre jour! lui dit-elle un soir.
-Oh c'est vrai?
-Oui, tu n'auras qu'à le visiter! Il est complètement vide et abandonné, mais j'ai trouvé ça étrange, je me demande qui a bien pu le construire.
-Je percerai le mystère de ce phare maman, je le jure!"

Et dès qu'il sortait, le petit garçon allait jouer dans le vieux bâtiment.


Par la fenêtre, il pouvait voir une falaise abrupte, ainsi que quelques buissons. Il n'aimait pas trop s'y pencher, et pensait avec quelques frissons à ce qui l'attendait s'il venait à tomber par l'orifice de la fenêtre, dont les vitres avaient été brisées.

"Je ferais mieux d'être prudent... Sinon, maman ne m'autorisera plus jamais à venir jouer par ici!"

Bien que petits, les lieux plaisaient à Luhan. Il s'en était fait son repère, duquel il observait la faune vivre: il était à l'abri des courants d'air, et les animaux ne remarquaient pas sa présence.  Luhan découvrait donc de nombreuses espèces qu'il n'avait jamais vues auparavant, et il s'empressait de demander à sa mère de quoi il retournait.


Mais plus le temps passait, et moins il pouvait sortir. Il n'avait pas de vêtements très chauds, et tout comme sa mère et son oncle, l'idée de tuer un animal pour se servir de sa fourrure en tant qu'habits le répugnait un peu. Il se contentait donc de ses vêtements cousus avec du lin et quelques tressages d'osier, et restait à l'intérieur pour jouer.

Il avait hérité d'une belle maison de poupées, dans laquelle tout un tas de mobilier inconnu demeurait.

"Qu'est-ce que c'est que ça? demanda-t-il à sa mère.
-C'est une télévision. Là-bas, dans le monde où les gens sont nombreux, on s'en sert pour se divertir, regarder des films...
-Qu'est-ce qu'un film maman?
-Une histoire dans laquelle des personnes jouent la comédie.
-Ce doit être bien!
-Je ne sais pas Luhan, je n'en ai jamais vues."


Un petit tigre sculpté dans du bois l'accompagnait aussi lors de ses longues journées de jeu. Il avait appartenu à sa grand-mère, et il aimait beaucoup l'idée que ce jouet avait contenté d'autres enfants que lui.

Parfois, il se disait qu'il aurait aimé connaître les autres membres de sa famille, mais sa mère lui avait expliqué pourquoi elle était partie, et il la comprenait. C'était un enfant très compréhensif, et puis après tout, il était heureux en compagnie de sa mère et de son oncle. Leur présence lui suffisait, et tout était pour le mieux.


Mais l'hiver durait, bien que cela ne fit que quelques semaines qu'il avait commencé.

Luhan n'avait jamais vu de neige, et les premiers jours, il en avait été émerveillé. Il avait passé de nombreuses heures à admirer la lune se lever parmi les flocons de neige, et les flocons eux-mêmes recouvrir toute l'île de leur blancheur pure.

Lorsque le soleil se couchait, il colorait la neige de reflets violets, et c'était un spectacle magnifique.

"Malo, crois-tu que l'hiver durera longtemps?
-C'est une bonne question, nous ne le saurons que lorsqu'il prendra fin!"


Mais au bout de plusieurs jours déjà, Luhan en avait assez de rester à l'intérieur de la maison. La pêche était devenue plus difficile et demandait donc plus de patience, ce qu'il n'avait pas, étant encore trop jeune. Il délaissait donc son oncle et ses parties de pêche, traînant des pieds à l'intérieur de la maison.

Le voyant marcher ainsi en peine, Marina fut obligée de céder.

"Mon chéri, écoute: tu peux sortir un peu si tu veux, courir dehors te fera du bien.
-Oh c'est vrai??
-Oui! Mais pas trop longtemps, et ne fais pas de folies non plus! Je veux que tu sois rentré avant l'heure du dîner, c'est compris?
-Oui!"

Il lui sauta au coup, et s'élança au-dehors du bateau.


Le jeune garçon commença par longer la côte, puis il fit le tour de l'île avant de se trouver sur une longue plage enneigée. Il s'approcha légèrement de l'eau, observant les douces vagues amener l'écume sur le sable.

Une fois, Malo lui avait raconté une histoire dans laquelle l'eau se transformait en glace lorsqu'elle était très froide.

L'eau ne devait donc pas être si froide, si elle n'était pas gelée... Luhan hésita, sautillant d'un pied à l'autre. Il jeta un coup d'oeil en direction du bateau, qu'on ne voyait même pas: personne ne pourrait le surprendre...

Rejetant ses dernières réticences, il se jeta à l'eau: comme c'était bon de nager à nouveau!


Pendant ce temps, Marina lisait avec attention quelques livres au coin du feu. Une série de manuscrits avaient commencé à compléter la collection de vieux livres qu'elle avait emportés: Le naufrage inexplicable de Clémence, le témoignage de Luna, les mémoires de Kiyo... C'est avec une certaine émotion qu'elle ajouta son propre manuscrit dans la bibliothèque.

"Moi aussi je veux laisser mon empreinte parmi mes ancêtres... Un jour, peut-être que quelqu'un pourra publier nos témoignages, et le monde saura ce qui est arrivé à ma famille."


La jeune femme se leva, et attisa les braises de la cheminée. Il ne fallait pas que le feu s'éteigne, d'autant plus qu'ils pouvaient le laisser allumé toute la journée: il n'y avait pas de sirène pour leur dire que le feu les séchait!

De plus, elle en aurait besoin pour faire quelques feuilles de papier: ils commençaient à manquer de ressources de ce côté-là, et Luhan avait besoin de papier pour son apprentissage.

"C'est moi maman, je suis rentré!"

A peine avait-elle tourné la tête, qu'il avait déjà filé dans sa chambre.

"Il est l'heure de faire tes exercices Luhan! le rappela-t-elle."


Luhan revint quelques instants plus tard, soulagé que sa mère n'ait pas remarqué l'eau qui dégoulinait de son corps. Il était rapidement monté à l'étage pour se sécher, et avait caché la serviette dans un coin, en attendant de pouvoir la glisser parmi le linge sale.

"Oui maman, je suis prêt!
-Tu t'es bien amusé dehors?
-Oh oui! J'ai construit un bonhomme de neige!
-Très bien. On va apprendre à écrire les mots en rapport avec la neige alors aujourd'hui!"

Et la leçon commença.


Malo assistait à ces leçons du coin de l'oeil. Il n'avait jamais très bien retenu ce que leur mère avait essayé de leur enseigner, mais Marina se rappelait tout parfaitement: c'était donc l'occasion de se parfaire.

"Comment arrives-tu à te souvenir de tout ça! lui fit-il en fin de soirée.
-Oh tu sais, c'est devenu naturel... Et ce serait dommage de perdre cet héritage culturel que notre grand-mère nous a laissé.
-Tu crois qu'un jour ça nous servira?
-Bien sûr que ça nous sert déjà! Sinon, tu n'aurais jamais mis au point cette canne à pêche en lisant le vieux manuel de pêche, et je n'aurais pas pu écrire mes plans pour la planche à voile. Ecrire, lire, c'est du quotidien!"


Le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil et un bon petit-déjeuner, Luhan n'avait qu'une envie, c'était retourner dehors.

"Je peux sortir maman?
-Eh bien, je ne sais pas si c'est une bonne idée... Tu es déjà allé dehors hier, tu ne veux pas rester un peu au coin du feu?
-Oh s'il te plaît!
-Je ne sais pas Luhan. Tu as encore des exercices à faire, nous verrons plus tard, d'accord?"

Un peu déçu, le petit garçon acquiesça. Après tout, ce n'était pas encore une peine perdue: sa mère l'autoriserait à sortir peut-être plus tard dans la journée...


Malo n'avait pas fini de découvrir les nouvelles espèces qui peuplaient la mer aux environs de l'île.

Dans la journée, il lui arrivait de s'absenter (au grand désespoir de Luhan), et de pêcher en silence dans un coin. Aux méduses, thons, saumons et autres poissons communs, il lui arrivait de remonter des poissons plus colorés et plus rares. Ceux-là, il les gardait bien en vie pour les montrer à son neveu, et les placer dans son aquarium, en attendant d'en savoir plus sur eux.


Il lui fallait cependant être patient pour récupérer toutes ces prises. Le froid avait fait migrer la plupart des bancs de poissons, et les gros qui étaient restés s'enfonçaient souvent profondément dans la mer, ils remarquaient donc peu les appâts lancés par Malo.

Ils étaient cependant loin de manquer de vivres. Ils avaient amassé suffisamment de nourriture avant leur départ, et avait pu récolter quelques plantes avant que la neige ne vienne tout envahir. Les hivers de famine qu'ils avaient pu passer durant leur enfance, quoique floue à présent, leur paraissaient vraiment lointains, lorsqu'ils songeaient à la nourriture dont ils jouissaient à présent. Waikiki avait-elle était une île stérile...?


De son côté, Luhan avait une fois de plus réussi à s'échapper de la maison. Il était parti de son côté, assez loin de Malo qui pêchait, et de sa mère qui se promenait également. Il avait contourné plusieurs arbres, descendu un chemin sinueux, pour emprunter une route à l'abri des regards indiscrets. Il avait posé ses vêtements sous un buisson, et s'était jeté à l'eau.

Après quelques frissons, il fit plusieurs brasses pour se réchauffer. Mais s'il voulait atteindre la crique qu'il aimait tant, il lui faudrait contourner une falaise assez large à la nage. Il n'était pas très enchanté par ce détour qui lui prit la plupart de ses forces, mais il n'avait pas le choix.

Mais que risquait-il à présent? Il avait réussi à nager seul de son côté lors de ses balades solitaires, il ne pouvait donc pas se noyer, pensait-il.


Non loin de là, sans se douter que son fils transgressait les règles établies, Marina avait grimpé sur la plaine enneigée. De là, elle observait le bateau dont la cheminée laissait s'échapper un peu de fumée. Il faisait froid, c'était un hiver déjà bien installé qui était là...

Cependant, quelque chose lui disait qu'il ne durerait pas aussi longtemps que les autres hivers qu'elle avait connu. Déjà, il avait cessé de neiger. Personne ne pouvait dire si les flocons ne reviendraient pas, mais il faisait doux.

La vie sauvage lui manquait, il lui tardait de retrouver le soleil.


Il lui arrivait parfois de tomber sur des oiseaux sauvages affamés ou blessés. Elle les ramenait à la maison, leur permettait de se réchauffer, et si possible, elle leur offrait quelques graines et des soins appropriés.

Elle avait pu sauver la vie de quelques perroquets, et d'un corbeau noir. Elle les relâchait toujours dans la journée, elle ne pouvait pas se permettre d'installer une volière à l'intérieur du bateau, ils auraient été beaucoup trop à l'étroit. L'espace leur suffisait tout juste à tous les trois.

"Va, mon bel oiseau..."


Elle le regarda s'envoler, haut dans le ciel. Il pouvait voler de ses propres ailes, il n'avait besoin de personne à présent...

Quelques larmes coulèrent sur le visage de la jeune femme. Cela lui faisait penser à Luhan. Son bébé, il avait déjà tellement grandi, qu'il pouvait se balader seul sur l'île, sans elle. Elle avait l'impression de s'en être à peine occupé, elle savait pourtant que ce n'était pas vrai.

Cet enfant avait beau ne pas avoir été désiré, elle ne l'en avait pas moins aimé. Elle était heureuse de voir qu'ils avaient une bonne relation, et que rien ne semblait pouvoir les séparer à l'avenir. Elle se rendait compte à quel point sa propre mère avait pu être malheureuse de son départ, mais il était trop tard pour le regretter.


Luhan arriva enfin dans la baie, où l'eau stagnante était plus chaude. Il grelottait, le chemin avait été plus long que prévu, et non loin de le réchauffer, la nage n'avait fait qu'accentuer la sensation de froid et de brûlure.

Il n'avait donc plus vraiment envie de jouer sur le bord de mer, et pensa qu'il ferait mieux de rentrer. Oui mais voilà, il ne pouvait pas revenir directement à la maison: il lui fallait récupérer ses vêtements si bien cachés.

Il soupira en pensant à tout le chemin qu'il allait devoir faire. Il n'était pas question de revenir via la mer, où il rentrerait complètement gelé.


Il lui fallut donc marcher un long moment, puis cherche l'endroit de la cachette qu'il avait oublié. Il perdit sa journée entière à rentrer, et le soleil était déjà couché lorsqu'il entra dans le bateau.

Personne ne semblait s'être inquiété de son absence, et il fit comme si de rien n'était. Marina cuisinait le dîner, et Malo s'occupait des derniers poissons de la journée, qu'il fallait ouvrir et vider, avant d'y couper des tranches de chair, que l'on salait afin de les conserver le plus longtemps possible.

Luhan détourna la tête, cette opération lui plaisait peu, il n'aimait pas voir les entrailles des poissons s'éparpiller sur le ponton.


Il se posa sur un panier assez long, et s'allongea. Même auprès du feu, il avait du mal à se réchauffer, et il sentait tout son corps frissonner. Il ne pouvait pas enfiler ses habits tout de suite, il avait gelé eux-aussi durant la journée. Il lui fallait donc attendre. Et l'attente était bien longue, quand on ne souhaitait qu'un vêtement bien chaud...

Il ne pouvait pas non plus se plaindre à sa mère, sinon elle découvrirait bien vite qu'il avait désobéit.

Il ferma les yeux, éternua et attendit que le repas soit prêt.

"Pourvu que maman fasse un plat chaud ce soir..."


"Luhan, va t'habiller, on va bientôt manger!
-Oui maman, j'arrive!"

Il se leva, et retourna dans la chambre, où l'attendaient ses vêtements secs mais froids. Il haussa les épaules, et se dit qu'après tout, la cheminée suffirait bien à le réchauffer... Il changea simplement de pantalon.

Il passa par la cabine de pilotage, et donna à manger aux poissons. Eux aussi avaient le droit d'un bon dîner, et fort heureusement, ils ne sentaient jamais la différence entre chaud et froid.


Marina l'attendait dans le couloir.

"Ah, te voilà enfin! Tu viens manger alors?
-Oui, je suis prêt! Qu'est-ce qu'on mange de bon?
-Des spaghettis!"

La jeune femme jaugea son fils du regard. Comme il avait grandi... Elle ne s'était rendu compte de rien, tout était allé tellement vite.

"Tu as tellement grandi, Luhan... murmura-t-elle.
-Comme tout le monde, je suppose, répondit-il un peu gêné."

Elle le serra contre lui, partageant la chaleur de son corps, sans remarquer combien celui de son fils était froid.

1 commentaire:

  1. J'espère que Luhan ne va pas tomber malade. Il ne manquerai plus que ça.

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