22.11.15

Episode 64: L'intelligence


"Yah! Allez mon destrier, en avant! De nombreuses aventures nous attendent, il ne faut pas faire attendre les gens qui comptent sur nous!"

Kairos adorait jouer sur le zèbre à bascule que son père lui avait construit. Avec son animal fétiche, il parcourait de nombreuses contrées, chassait le mal de tous les pays, et devenait le héros d'un nombre incalculable d'histoires. La pluie ne l'empêchait jamais de partir à l'aventure, bien au contraire.

Kâli attendait toujours impatiemment le retour de son frère, pour qu'il lui raconte ses fabuleuses épopées.

"Et là, je n'avais plus aucun moyen de m'échapper! C'est alors que mon fidèle Zébulon est arrivé!!"




Alors que ses deux plus grands passaient une grande partie de leur journée à se raconter des histoires inventées, Ika s'occupait de la plus jeune, Târâ, qui était encore bien incapable de prononcer ne serait-ce qu'un seul mot.

"Bonjour ma puce! Bien dormi? Je parie que tu as faim toi!"

Elle se contentait encore de gigoter dans tous les sens, et suçait parfois son pouce.

"On jouera dans la balançoire après, qu'est-ce que tu en dis?"

Il lui sembla apercevoir un léger hochement de tête, mais après tout, c'était peut-être son imagination: Târâ ne semblait pas se développer aussi vite que Kairos et Kâli.


Puisque Malo vivait à présent seul, Luhan lui avait proposé de venir passer quelques temps à la maison. La mort de Marina l'avait beaucoup affecté, et passer ses journées en compagnies des enfants ne pourrait que lui faire le plus grande bien.

"Papy va rester à la maison? demanda Kairos qui passait par là.
-Papy?! C'est toi qui leur as appris à m'appeler comme ça?
-Euh... Peut-être bien!
-C'est malin, je dois déjà supporter mes cheveux gris!"


Kairos avait développé une nouvelle habitude: chaque soir, avant de se coucher, il allait vérifier sous chacun des lits si un monstre ne s'y cachait pas.

"La voix est libre! Papa, maman, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles cette nuit!
-Ah, merci, fit Ika, c'est très gentil de ta part.
-Aucun monstre ne survivra dans cette maison tant que je serai là! s'exclama-t-il en se dirigeant vers le berceau de ses soeurs."

Il agissait telle une véritable tornade, prêt à tout pour que le monde garde sa sécurité.



Il fut décidé que Malo dormirait dans la chambre de Kairos, et ils étaient tous les deux aussi ravis l'un que l'autre. Cela leur permettrait de faire plus ample connaissance, et de passer une partie de leur soirée à se raconter des histoires: Kairos avait une imagination débordante, et Malo une vie remplie d'aventures et de souvenirs à partager.

"As-tu envie que je te raconte comment ton père a failli manger un champignon vénéneux?
-Oh oui, raconte moi papy!"


Târâ grandissait, et prenait de l'âge. Elle restait tout aussi adorable, et Ika ne se lassait jamais de jouer avec elle, elle avait l'impression que la fillette allait rester plus longtemps joueuse et innocente que son grand frère et sa grande soeur, qui n'étaient pas loin de faire des débats philosophiques.

Elle se demandait s'ils étaient vraiment en avance sur leur âge, ou si c'était Târâ qui était un peu en retard. Mais peu lui importait au fond, du moment qu'ils étaient tous les trois heureux.

"Alors ma puce, qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui?"


"Attention, écartez-vous de mon chemin!!"

Kairos venait de descendre les escaliers en glissant sur la rampe, et il fit mine de s'élancer à la poursuite de bandits.

"Kairos! le gronda sa mère. Fais attention, tu pourrais tomber et te faire mal! Ce n'est pas un jeu, c'est un escalier!
-Pourchasser les malfaiteurs, c'est un métier dangereux maman! Mais ne t"inquiète pas, je vais tous vous protéger!"

Ika soupira en levant les yeux au ciel. Faire jouer son fils à l'intérieur relevait d'une mission impossible.


Le jeune garçon s'élança à l'extérieur, et courut à travers le village. Il aimait slalomer entre les différentes huttes, se cacher dans un recoin pour espionner les voisins, et courir à toute vitesse pour attraper des voleurs invisibles. Il se sentait animé d'une volonté de vaincre le mal, et de protéger les habitants de Ziwa Bonde.

A la limite du village, il s'arrêta de jouer et marcha en direction d'une énorme flaque d'eau. Il n'avait pour le moment pas le droit d'aller plus loin, mais cela ne l'empêchait pas de jouer avec l'eau: il y sauta, faisant gicler la pluie de tous les côtés. Comme l'eau était fraîche et chaude à la fois!


S'il était à présent certain que Kairos et Kâli possédaient des facultés intellectuelles plus élevées que la normale, Luhan et sa compagne avaient de sérieux doutes quant à celles de Târâ. La fillette, qui aurait dû commencer à marcher et à parler un peu, restait très peu bavarde et babillait à peine un charabia incompréhensible.

Lorsqu'elle jouait, son regard était parfois perdu dans le vague, et elle s'intéressait peu aux jeux de construction et de logique que son frère et sa soeur avaient tant affectionné à son âge.

"Târâ, allez fais un effort! lui demanda sa mère. Tu sais bien où se range le rond!"

Mais la fillette se contentait d'applaudir, et de tendre les mains vers Ika, ne comprenant pas ce qu'on attendait d'elle.


Elle avait aussi du mal à tenir sa cuillère en mains, et préférait manger avec les doigts: ce qui n'était pas pratique, compte tenu du fait qu'elle ne mangeait pas d'aliments solides, mais des bouillies préparées spécialement par sa mère.

"Mmhm! disait-elle parfois en avalant une bouchée.
-Oh oui c'est bon ma puce n'est-ce pas? Dis que c'est bon!
-Mmhm!"

Ika ne la forçait jamais: mieux valait lui laisser un peu de temps pour se construire, peut-être n'était-elle tout simplement pas prête.


Kairos était ravi d'avoir Malo pour jouer avec lui. Kâli était encore trop petite pour sortir de la maison et chahuter en sa compagnie, alors il jetait son dévolu sur son grand-père adoptif.

"Je vais t'apprendre un jeu gamin, je suis sûr que tu vas adorer ça!
-Ah et qu'est-ce que c'est?
-C'est une bataille d'oreillers!"

Le vieil homme lança un coussin vers Kairos qui l'attrapa en vol, et il commença à lui donner des coups sur la tête, ne lui laissant aucun répit.

"Grand-père, mais pas assez sénile pour perdre une bataille d'oreillers, j'ai de l'expérience moi mon gars!"


Comme la nuit tombait, Kairos raconta tout ce qu'il avait fait à son petit panda en peluche. L'ourson était son confident, il aimait lui raconter tout ce qu'il avait pu faire, il devenait ainsi le gardien de ses histoires les plus folles.

"Tu sais, j'ai bien aimé jouer avec papy, il est vraiment gentil! Papa me dit qu'il n'est pas mon vrai papy mais plutôt mon grand-oncle, mais c'est pas grave, moi je l'aime quand même!"

Il le serra contre lui, avant de le ranger soigneusement dans un endroit inaccessible à ses petites soeurs: il n'était pas question qu'elles viennent l'abîmer.


Ce soir-là, Luhan lui proposa de lui raconter une histoire.

"Quel livre as-tu envie de lire?
-Je veux que tu me racontes l'histoire de mamie!
-D'accord... Viens, installe-toi bien."

C'était une soirée particulière, car Kairos devait se coucher tôt: pour la première fois, il allait entrer à l'école le lendemain matin. Ziwa Bonde était pourvu d'un petit centre scolaire, dans lequel chaque enfant et chaque adolescent devait se rendre tant qu'il n'était pas majeur. C'était essentiel de recevoir une bonne éducation: on y apprenait à lire, écrire, compter, mais aussi à cuisiner et jardiner, tout ce qui était nécessaire à la vie autonome.


Le petit garçon était ravi: cela lui donnait une raison pour se balader tranquillement le matin dans le village, et pour prendre son temps avant de rentrer.

Il était aussi impatient de se faire de nouveaux amis, et d'apprendre à lire tout seul: il y avait des tas de livres à la maison qu'il n'avait jamais pu parcourir, parce qu'il n'y avait pas d'images.

Ses parents ne se faisaient aucun souci: avec ses facultés et sa soif de connaissance, tout devrait se passer au mieux pour Kairos.


Malo passait beaucoup de temps en compagnie de la petite dernière. Si l'intelligence des deux  grands étonnait tout le monde, lui avait beaucoup de curiosité envers Târâ. Elle n'avait pourtant pas l'air si bête que ça, ce retard d'apprentissage était-il vraiment réel, ou la fillette avait-elle besoin d'une stimulation différente?

Pour en avoir le coeur net, il décida de lui proposer une activité différente de d'habitude, et la plaça près du xylophone en bois.

"Regarde, tu vois ça sert à faire de la musique! Qu'est-ce que tu en penses?"

Et c'est avec une étonnante surprise que le vieil homme vit Târâ s'emparer de la baguette, et commencer à jouer une petite mélodie.


"Mais c'est drôlement joli ce que tu me chantes là! s'exclama-t-il. Ika! Viens donc, vite!
-Qu'est-ce qu'il se passe?"

Ika apparut dans l’entrebâillement de la porte, une pile de linge entre les bras, et chercha immédiatement à comprendre d'où venait la petite musique.

"Mais qui... Oh! Mais c'est Târâ!
-Mais oui! Et elle joue extrêmement bien non? Alors que je viens simplement de lui montrer le xylophone!
-C'est fantastique! Elle n'est donc pas si bête que ça. C'est de la flemmardise tu crois?
-Je ne sais pas, mais nous le découvrirons bientôt je pense!"


Kairos était certainement le plus motivé et le plus assidu de la classe. il s'asseyait toujours au premier rang, et notait la moindre parole du professeur sur le petit cahier qu'on lui avait distribué. Il devait cependant garder une écriture petite et serrée, car chaque élève ne recevait qu'un seul cahier pour toute sa scolarité: le village ne possédait pas assez d'argent pour fabriquer plus de matériel scolaire.

"J'ai une question maîtresse!
-Oui Kairos?
-C'est à propos de ce que vous venez d'écrire au tableau..."

On n'avait jamais vu un élève aussi curieux et doué d'un tel raisonnement.


"Oui Târâ!! C'est très bien, continue!!"

Lorsque l'aîné de la famille rentra à la maison, Ika était occupée à apprendre à Târâ à marcher. Cette dernière avait bluffé tout le monde au xylophone, aussi sa mère avait-elle tenté de changer son approche d'apprentissage auprès de la fillette. Ce n'était pas encore tout à fait ça, car Târâ avait beaucoup de mal à assimiler ce qu'on lui demandait, mais il y avait pourtant quelques progrès.

"Alors cette première journée d'école Kairos?
-C'était trop bien! On a appris à écrire aujourd'hui!
-En une seule journée?!
-Oui moi je sais déjà! Et la maîtresse a dit qu'elle allait me faire un programme spécial car elle dit que j'apprends plus vite que les autres."


"Hue Zébulon! En avant toute! Nous devons rattraper ce voleur avant qu'il ne soit l'heure d'aller à l'école, dépêchons-nous!"

Tout à ses histoires, Kairos épatait la galerie, et les villageois qui passaient devant la maison ne cessaient de lui adresser des éloges.

On le trouvait mignon, intelligent, innocent et curieux à la fois, et personne n'oubliait qu'il était le fils de la guérisseuse, elle-même appelée à devenir la chef du village un jour... Ce qui faisait de Kairos son héritier.


Depuis qu'elle avait découvert l'instrument de musique, Târâ ne le quittait plus. On avait parfois l'impression qu'elle s'amusait à reproduire plusieurs morceaux différents, mais il était difficile d'en être certain.

Elle aimait tant la musique qu'Ika faisait tout pour être présente dans ces moments, et elle essayait de lui enseigner le langage tout en chantant, ce qu'elle parvenait plutôt bien à faire. Il était clair que la musique allait avoir une place importante dans la vie de la fillette, mais on ne savait pas comment les choses allaient évoluer lorsqu'il lui faudrait aller à l'école.


Pour Kâli, on ne se faisait pas de soucis: tout comme son frère, les choses allaient de soi. Elle semblait avoir une certaine avance sur ses camarades, et avait même déchiffré quelques livres avant d'entrer à l'école à son tour.

"Maman, maman!
-Oui?
-Est-ce que je peux lire une histoire à Târâ ce soir?
-Oui bien sûr, mais pas une trop difficile... Tu sais que ta soeur à quelques soucis de compréhension, donc il faut faire attention!
-Mais oui, et puis je lui expliquerai!"

Cependant, on notait aussi que Târâ devenait plus attentive lorsque c'était sa soeur qui lui parlait et qui lui expliquait les choses.


Le beau temps était revenu, et la pluie avait complètement disparu, ce qui signifiait que Luhan devait passer plus de temps au jardin: les plantes manquaient régulièrement d'eau sous la chaleur de Ziwa Bonde. S'il avait pu s'habituer au climat particulier de cette partie du globe terrestre, les plantes n'en avaient pas moins de difficultés à pousser, alors qu'elles étaient ici depuis des années, voire des siècles.


Le langage de Târâ  ne s'améliorait pas, bien qu'il lui arrivait de produire des sons incompréhensibles, et qu'elle comprenait tout à fait ce qu'on lui disait.

"Tu n'es pas muette quand même! lui demandait Ika en lui chatouillant le visage."

La fillette riait de plaisir, et ses éclats de voix prouvaient bien que ses cordes vocales n'avaient aucun souci. D'ailleurs, Ika notait des progrès dans ses facultés motrices: elle arrivait à tenir un couvert de façon convenable, et si son équilibre n'était pas au top, elle pouvait tenir debout.


"Viens, mets-toi donc à côté de moi!
-Bon d'accord! Mais je ne me ferai jamais de copines si je dois tout le temps m'asseoir à côté de toi!
-Mais si, il y a la récréation pour ça! La maîtresse me donne des devoirs spéciaux, peut-être que tu en auras aussi?"

Et effectivement, devant les capacités de Kâli, qui étaient tout aussi impressionnantes que celles de son frère, la maîtresse d'école fut bien d'obligée de passer à la vitesse supérieure avec la fillette.

Le village était d'autant plus étonné par leurs capacités, que ni dans la famille d'Ika, ni dans celle de Luhan, on avait vu des antécédents avec un cerveau aussi développé.


Personne ne savait cependant ce qu'il en était de Târâ. On pensait qu'elle était comme son frère et sa soeur, et on parlait déjà de la fratrie des surdoués. Ni Kairos, ni Kâli ne contredirent les gens qu'ils croisaient, les notions de surdoués n'étaient à vrai dire pas très claires pour eux. Ils se contentaient d'apprendre et de faire preuve de curiosité... Quel mal y-avait-il à cela? Et qu'est-ce que cela pouvait bien faire, si leur petite soeur était différente d'eux?

1 commentaire:

  1. Târâ est super choue, elle sera une future musicienne, je le sens !

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