29.11.15

Episode 67: Une note de musique


Târâ attendait dans un coin de la cours de récréation. Elle se mêlait peu aux autres enfants, et les regardait jouer de loin. Elle n'avait de toute façon pas envie de subir leurs moqueries à propos de son langage encore bancal.

Kâli, qui l'observait du coin de l'oeil, vint la rejoindre.

"Qu'est-ce que tu fais donc ici, viens avec nous!
-Non... Les autres pas gentils.
-Mais non, c'est juste qu'ils ne te connaissent pas, tu ne leur laisses pas l'occasion d'en apprendre plus sur toi...
-Târâ pas vouloir! Târâ n'aimer que Kâli...
-Oh ma puce!"

Kâli serra sa petite soeur contre elle. Que pouvait-elle dire face à des paroles si affectueuses?



Si les enfants grandissaient et gagnaient en maturité, Luhan sentait bien que lui perdait sa jeunesse. Depuis combien de temps vivait-il ici, à Ziwa Bonde? Des années déjà... Il y avait regagné sa santé, y avait perdu sa mère et son oncle, avait trouvé une femme merveilleuse, eu trois enfants.

Il regardait le volcan endormi de loin. Bientôt, il serait aussi courbé que lui, aussi vieux, et les longues promenades dans la nature ne lui seraient pas recommandées... Il haussa les épaules. La vie n'avait pas été toujours juste avec lui, mais cela ne l'avait pas empêché de vivre de belles choses.

Qui savait ce que l'avenir lui réservait encore, avant qu'il ne s'éteigne vraiment?


Kâli apprenait des remèdes de plus en plus compliqués à préparer. Si Ika l'avait laissée se débrouiller pour un simple remède contre le rhume ou le mal de dos, elle devait à présent l'aider dans ses préparations: on pouvait faire quelques erreurs dans une potion de maladie bénigne, mais l'erreur était absolument interdite pour des maladies plus graves, au risque de faire mourir le malade.

"Regarde bien... Je tourne une fois dans le sens là, deux fois dans l'autre, et ainsi de suite, souligna Ika."

L'adolescente acquiesça de la tête, concentrée autant qu'elle le pouvait. Jamais elle n'aurait cru qu'être guérisseuse exigeait autant de savoir et de savoir-faire, mais elle était déterminée à terminer sa formation.


La plus jeune de la famille profitait de ses derniers instants avec ses jouets préférés. Elle savait que bientôt, on lui demanderait de rejoindre les grands dans la classe, et qu'il lui faudrait abandonner le petit tigre de bois, et le lapin en peluche.

"Petit lapin... petit, petit lapin!"

Elle le fit sauter sur le sol et applaudit devant ce spectacle qu'elle adorait contempler. Elle n'avait plus personne pour jouer avec elle depuis que Kâli avait rejoint la classe des grands, mais elle se suffisait à elle-même, et retraçait les histoires qu'elle avait inventées avec son frère et sa soeur.


"C'est bon, je crois que les enfants se sont couchés... fit Ika en rejoignant Luhan sur le lit.
-A ce rythme, on va devenir bien trop fatigués à l'heure où ils s'endormiront...
-On aura plus qu'à trouver un autre moment dans la journée pour se câliner...!
-Avec Târâ qui traîne toujours dans nos pattes? Ça va être compliqué, crois-moi!
-On demandera à Kâli de l'emmener faire un tour.
-Tous les jours? Si ça devient régulier, elle va trouver ça suspect...
-Et alors, elle est grande non? Ils devraient bien savoir qu'on ne reste pas sagement au lit à attendre qu'on s'endorme!"

Luhan secoua la tête. Même si le temps les rattrapait, Ika n'avait jamais rien perdu de sa franchise et de sa fraîcheur, elle était restée telle qu'elle était lorsqu'il était tombé amoureux.


"Inspire très fort... Voilà, comme ça c'est bien. Maintenant, souffle, tu dois souffler tout l'air qu'il y a dans tes poumons... Est-ce que ça va mieux maintenant?
-Oui, maman!"

Ika reprit le sachet des mains de sa fille et le posa de côté, en la gratifiant d'un sourire. Elle souffrait encore de crises d'asthme, surtout les jours de pluie, et elle n'avait pas encore réellement compris l'intérêt du sachet, si ce n'est qu'il l'aidait à mieux respirer. Sa mère devait donc encore lui apprendre à répéter ce geste en cas de crise.

"Târâ se sent mieux, merci maman!"


Ika lui ébouriffa les cheveux, puis elle lui proposa de l'aider un peu dans ses devoirs.

"Ah... Mais Târâ n'aime pas les devoirs... répondit la fillette.
-Je vais te les faire apprécier, ou du moins les faire paraître moins désagréables! C'est toujours mieux de les faire à plusieurs tu sais. Et puis c'est pour ton bien. Je sais que c'est dur, mais c'est important de bien travailler à l'école, pour plus tard."

Târâ grommela des paroles incompréhensibles, mais elle se laissa entraîner par sa mère, et découvrit effectivement que tout était beaucoup plus facile lorsqu'on était aidé.


La petite fête organisée par l'école avait été une belle réussite, et Kairos et Lily ne s'étaient pas lâchés de la soirée. Ils avaient dansé jusqu'à avoir mal aux pieds et avaient fini par s'isoler dans un coin de la cours de récréation, à l'abri des regards indiscrets.

"Quelle soirée! s'exclama Lily avec un sourire. Je n'ai jamais autant dansé de toute ma vie.
-Moi non plus! J'aimerais pouvoir danser avec toi tous les jours de ma vie.
-Tu en aurais vite marre! Mais je ne dirais pas non...
-Il te suffirait de dire oui alors.
-A quoi donc?
-Est-ce que tu veux t'unir à moi?"


Lily resta muette de surprise un moment, tant la question l'avait prise de court.

"Mais... Le chef du village ne sera jamais d'accord, nous sommes trop jeunes!
-C'est pas grave... Tu n'as qu'à me dire oui à moi, et ça me suffira... On attendra de pouvoir célébrer notre union au grand jour."

La jeune adolescente hésita un instant, avant de s'écrier oui, et de sauter au cou de Kairos. Il ne put résister, et malgré l'interdiction de tout échange physique avant l'union, il ne put s'empêcher de l'embrasser. Elle ne le repoussa pas, malgré son éducation plutôt conservatrice, et ils décidèrent de garder ce baiser secret.


Il leur fallait maintenant rester discret et ne pas trop s'afficher aux yeux du village. Rien que leur premier baiser pouvait les faire renvoyer du village, même si on savait généralement que les adolescents n'étaient pas les plus sages et les plus respectueux des coutumes, lorsque l'un d'entre eux se faisait prendre, la sentence ne se faisait pas attendre.

Les jeunes amants devaient donc se contenter de s'enlacer amicalement en public, au mieux de se prendre par la main, mais ils n'avaient pas le droit de faire plus.

Se voler un baiser derrière un mur ou un arbre leur faisait aimer le risque qu'ils prenaient, et ils trouvaient petit à petit goût à cette relation cachée.


Târâ grandissait, et comme elle l'avait prévu, elle dut bientôt rejoindre la classe des grands à l'école. Cela ne l'enchantait pas, mais elle n'eut pas le choix. Si ses résultats scolaires s'en ressentirent, car ses notes chutèrent à nouveau, elle avait pourtant réussi à maîtriser assez la langue pour parler et s'exprimer correctement. A la voir, personne ne pouvait savoir qu'elle lisait à peine, et qu'écrire était vraiment difficile pour elle.

Elle aimait par dessus tout faire de longues sorties dans la nature environnant Ziwa Bonde. Elle s'isolait parmi les buissons et les arbres, et attendait silencieusement d'entendre le chant de quelques oiseaux sauvages.


Lorsque les oiseaux ne venaient pas, elle ne se décourageait et pas, et allait se baigner dans le grand fleuve qui traversait les alentours du village. L'eau n'était pas toujours très chaude malgré les hautes températures, à cause des glaces du volcan qui y tombaient fréquemment, mais c'était la solution idéale pour se rafraîchir.

"Mmhm... Mmhm..."

Dans sa tête, il y avait toujours une mélodie, un refrain qui ne la quittait pas et qu'elle aimait fredonner. Il n'y avait personne pour partager ses baignades, elle pouvait donc chanter à sa guise. S'il y avait une chose qu'elle n'aimait pas, c'était bien de chanter en public. Tout le monde avait été surpris de voir à quel point elle chantait bien, alors même qu'elle s'exprimait difficilement à l'école, et on la regardait avec une curiosité qui la mettait mal à l'aise.


L'adolescente avait donc développé une affection toute particulière pour la solitude qui l'enveloppait depuis sa plus tendre enfance, et ces longues balades dans la nature ne faisaient que la combler.

Le bruit de l'eau ruisselante était une source d'inspiration tout aussi efficace que le chant des oiseaux, ou que le bruissement des feuilles lorsqu'il y avait du vent.

La seule compagne qu'elle acceptait durant ces pèlerinages était Kâli, lorsqu'elle devait cueillir de nouveaux ingrédients pour les remèdes ou devait prendre une pause.


Kairos n'avait pas le temps de sortir très longtemps en dehors du village, entre les rendez-vous secrets qu'il avait avec Lily, l'école, et son travail dans les vignes, il ne se retrouvait chez lui qu'en début de soirée, et là, il avait ses devoirs à faire.

Son maître lui enseignait les différentes formes de pressage des raisins, et les combinaisons de saveurs qu'on pouvait obtenir en mélangeant les différents fruits, et en y ajoutant des prunes ou des pommes. Les premiers essais du jeune homme n'avaient pas été remarquables, mais il ne désespérait pas.


Kâli devait parfois sortir à la tomber de la nuit, qui était le moment de la journée idéal pour cueillir les champignons dont elle avait besoin.

"Attends-moi Kâli, j'arrive! s'écria Târâ en lui courant après.
-Dépêche-toi alors, sinon les rongeurs vont manger tous les champignons qu'il me faut! L'air se refroidit et ils vont bientôt être de sortie, tu sais bien.
-Je suis là, je te suis! De quel champignon as-tu besoin aujourd'hui?"

Târâ avait renoncé depuis un moment à suivre les traces de sa soeur, mais cela ne l'empêchait pas d'aimer lui apporter son aide.


Il leur arrivait de marcher loin en dehors du village, et de se rapprocher de la seconde partie du village qui se trouvait un peu plus sur les hauteurs du volcan. En effet, Ziwa Bonde était en réalité l'union de deux petits villages, séparés d'environ un jour de marche. Kâli et Târâ n'y avaient encore jamais posé les pieds, mais elles repoussaient chaque fois les limites de leur promenade.

Là-bas, la verdure semblait plus dense, certainement parce qu'à une plus grande altitude, il faisait moins chaud qu'en bas dans la vallée.

"Je vais me baigner...! signala Târâ en entrant dans l'eau d'une cascade."


A leur retour de cueillette, bien souvent, le reste de la famille était déjà endormi, ou il n'y avait qu'Ika pour leur souhaiter un bon retour à la maison, et leur servir une assiette bien chaude.

"Qu'est-ce que j'ai faim! s'exclama la plus jeune des adolescentes en s'attablant.
-Vous avez fait bonne récolte les filles?
-Oui! répondit Kâli. Je crois que j'ai assez de champignons pendant plusieurs semaines maintenant, Târâ m'aide vraiment beaucoup! Son aide m'est très précieuse..."

Târâ se sentit rougir de plaisir.


Si elle n'avait pas d'amis à l'école, et que la solitude ne lui pesait pas, il y avait pourtant une personne qu'elle aimait par dessus tout, c'était sa soeur. Du plus loin qu'elle se souvienne, sa soeur avait toujours été là pour elle: elle lui avait appris à parler, l'avait aidée à s'intégrer plus ou moins bien à l'école, et elle avait toujours joué avec elle, malgré ses propres impératifs.

Oui, si quelqu'un comptait plus que tout à ses yeux, c'était sa grande soeur. Elle admirait cette jeune femme qui, sans faire le moindre effort, parvenait à résoudre des problèmes compliqués, ou à concocter de nouveaux remèdes pour le bien du village.


Il semblait d'ailleurs que Kâli ait dépassé sa mère en tant que guérisseuse. S'il fallait encore la superviser lors des mélanges compliqués, elle réussissait parfaitement tout le reste, et connaissait sur le bout des doigts l'usage de chaque herbe, de chaque plante qui était rangée dans sa précieuse sacoche.

Elle travaillait aussi à améliorer les remèdes de ses ancêtres, afin d'en effacer les effets secondaires parfois inconfortables, et elle tentait d'inventer de nouvelles choses, des innovations que l'on n'avait jamais osé faire jusqu'à présent.

Elle semblait sur le point de révolutionner la médecine qu'on avait connue à Ziwa Bonde.


S'il restait cependant un mystère à ses yeux, c'était les fréquentes migraines qui pouvaient s'attaquer à sa petite soeur.

Une fois, voire deux ou trois fois par semaine, un violent mal de tête s'emparait d'elle, et tout ce qu'elle pouvait lui donner pour la soulager ne semblait pas fonctionner.

Târâ restait donc allongée toute la journée, à se tenir la tête entre les mains, à attendre que la douleur s'en aille.


"Je trouverai de quoi te libérer de tes migraines un jour, ne t'en fais pas!
-Je sais que tu fais du mieux que tu peux... Mais je ne suis peut-être pas guérissable.
-Bien sûr que si! Toutes les douleurs peuvent être effacées, j'en suis convaincue... Et je trouverai le moyen de combattre les tiennes."

Târâ hocha doucement la tête. Elle n'était pas vraiment convaincue, et puis après tout... Elle commençait à avoir l'habitude de cette douleur dans sa tête.


Un jour, son père lui fit la plus belle surprise qu'elle n'aurait pu imaginer recevoir un jour. Il lui couvrit les yeux, et l'amena à l'intérieur de la maison en lui donnant la main.

"Attention, tu es prête...?"

Tout à coup, il lui avait découvert les yeux, et le regard de l'adolescente était tombé sur un magnifique instrument de musique: c'était un yang qin.

"C'est... C'est pour moi?"

Luhan acquiesça, et elle vint s'asseoir auprès de l'instrument, comme hypnotisée. Elle posa ses doigts dessus, et de magnifiques notes de musique en sortirent immédiatement.


Ses parents restèrent un moment à l'écouter. La musique qu'elle jouait et qui sortait de l'instrument à cordes était la plus belle qu'ils n'aient jamais entendue. C'était une mélodie douce et mélancolique à la fois, qui vous berçait et vous faisait voyager dans des univers inconnus.

Luhan hocha la tête pour lui-même. Ika avait eu raison, leur fille ne semblait pouvoir s'épanouir que dans la musique... Cet instrument était donc le bienvenue.

En voyant ses doigts fins courir sur le clavier, ils ne doutèrent pas que la maison ne retrouverait son silence qu'après de longs moments musicaux.


Luhan et Ika se retrouvèrent dans la cuisine, et ouvrirent une bonne bouteille de nectar.

Tout en sirotant leur breuvage, ils ne cessaient de s'extasier sur la musique que leur avait offert Târâ. D'où pouvait bien lui venir ce don? Jamais personne ne lui avait enseigné la musique, et pouvait-on dire que cette prouesse lui venait comme était venue l'intelligence de Kairos et de Kâli?

"En tout cas, fit Ika, je suis ravie que nous lui ayons offert ce cadeau... Elle pourra davantage s'épanouir et se démarquer des autres. Peut-être les jeunes gens de son âge finiront-ils par l'accepter."


Ce fut le début d'une longue nuit blanche à la belle étoile pour Târâ. Sous son oreiller, elle trouva une jolie harpe celtique, taillée dans un bois blanc qui sentait bon la nature. Impatiente de l'essayer, elle courut dehors, à quelques pas du village pour ne réveiller personne, et se mit à pincer les cordes, pour en faire sortir une douce mélodie.

La musique berça le village entier toute la nuit, seulement accompagnée du doux chant des oiseaux...

2 commentaires:

  1. J'aime de plus en plus Târâ, elle est la douceur incarnée. L'adolescence lui va très bien, elle est magnifique *^*

    RépondreSupprimer
  2. Comme c'est bien trouvé ce Yang quin... Il va aider Târâ, j'en suis sûre...

    RépondreSupprimer