11.7.16

Episode 136: Ecole buissonnière


Quand on attendait tranquillement sur le sable des plages, il arrivait parfois qu'un serpent aux couleurs colorées vienne s'aventurer au soleil. Vitae adorait voir sa petite frimousse, et elle avait réussi à s'en faire un ami. Chaque jour, après l'école, ou bien pendant les heures de classe, elle venait lui rendre visite, et ils passaient un peu de temps ensemble. Elle avait l'impression que l'animal passait volontiers du temps en sa compagnie, et elle en était enchantée.

Parce qu'elle passait rarement une journée entière à l'école, préférant plutôt vagabonder à travers les buissons. Le matin, elle faisait semblant de se diriger vers le centre de l'île, avant de bifurquer lorsqu'elle n'était plus visible depuis la maison. Ainsi, elle pouvait faire ce qu'elle voulait, et ses deux papas n'en savaient rien.

Il lui suffisait d'être suffisamment discrète et subtile, pour que personne ne remarque ce subterfuge. Elle était loin de penser que l'école pourrait avertir ses parents de ses absences.



Quand arrivait l'heure où elle était censée quitter la classe, elle se dirigeait toujours vers la piscine, qui était juste en face de la maison: ainsi, ses parents pensaient qu'elle était de retour, après une bonne journée passée à étudier. Ce qui n'était évidemment pas le cas.

"Bonjour mon petit papa! dit-elle gaiement en passant près d'Arwen."

Il leva la tête de son calepin, et lui sourit.

"Tu as passé une bonne journée?
-Oh oui, très bonne!
-C'est bien, je suis content de toi.
-Qu'est-ce que tu écris donc?
-Je suis en train de retracer tous les événements qui ont suivi ta naissance...
-Il y en a donc tant que ça?"

Elle s'était accroupie, tentant de lire quelques uns des mots inscrits.


"Tu liras ça quand j'aurai terminé! "

Arwen avait rapidement refermé le calepin quand elle s'était penchée, sans savoir qu'à cause de ses journées d'école séchées, elle n'avait pas réussi à déchiffrer un seul des mots écrits.

"Oh, dommage! s'exclama-t-elle. Je ne m'en souviens pas très bien moi.
-Tu étais encore trop jeune pour ça. Mais je te promets qu'un jour, je te ferai lire. Après tout, ça te concerne aussi."

Il laissa sa tête retomber sur son manuscrit, puis se rendit compte que la fillette était toujours près de lui.

"Tu devrais aller t'amuser un peu tu sais! Après nous rentrerons, et il sera temps que tu me montres tes devoirs, je n'ai encore rien vu depuis que tu es entrée à l'école.
-Mmhm, oui!"


Et, sans se soucier du fait qu'elle n'avait rien à montrer à son père en rentrant à la maison, elle s'activa autour de la piscine: plongeoir, toboggan, cascade d'eau. Arwen lui avait demandé de s'amuser, et c'était bien ce qu'elle comptait faire!

Le reste de l'après-midi fila donc à toute allure pour la petite fille, qui ne s'inquiétait absolument pas de ce qui allait se passer en suite. Elle n'était pas du genre à s'affoler pour si peu, et avait l'impression qu'elle trouverait bien un moyen de s'en sortir. Elle aimait vivre au jour le jour, et pensait que si quelque chose devait arriver, c'est qu'il en était ainsi: inutile de s'inquiéter alors!

"Vitae, tu viens?"

Dix-huit heures venaient de sonner, et Arwen avait jugé qu'il était temps de se consacrer à des activités moins futiles.


"Alors, qu'as-tu à faire pour demain? demanda-t-il quand ils furent sous leur toit.
-Oh, euh eh bien... en fait on n'a pas de devoirs, répondit-elle simplement."

Un sourire crispé passa sur le visage de son père: en effet, lui qui avait été à l'école, savait qu'un jour de classe ne se terminait jamais sans devoirs à la maison.

"Allons donc, ne me dis pas de bêtises. Où sont-ils?"

Vitae se sentit rougir, et se mit à danser d'un pied sur l'autre, avant de se décider à être franche.

"En fait je ne sais pas, je n'ai pas été à l'école.
-Pardon?
-Ben, je préfère m'amuser moi! Alors depuis lundi, je suis allée me promener à la plage.
-C'était donc ça, les appels manqués du centre..."

Arwen fronça les sourcils, mais il décida de rester calme: ce n'était pas le moment de déclencher une dispute. Vitae devait simplement comprendre ce qui était bon pour elle...


"Ecoute, il faut que tu ailles à l'école, c'est important.
-Mais je veux voir la mer! protesta-t-elle.
-Et c'est ce que tu peux faire chaque fois que tu sors de la classe."

Sera sortit à ce moment-là de la cuisine pour apporter le dîner, et se mêla à la conversation.

"Tu ne pourras pas devenir une adulte responsable, si tu ne vas pas à l'école, dit-il. Et qu'est-ce qu'on va penser au centre? Que tes parents sont mauvais, parce qu'ils t'empêchent d'aller à l'école?
-Mais non, puisque c'est moi qui ne veux pas!
-Certes, mais tout le monde pensera que c'est de notre faute, parce que nous t'avons mal élevée. Et alors, il est possible que le centre prenne les choses en main, et finisse par te retirer de notre maison. Tu comprends ce que je te dis?"

Les paroles de Sera avaient été dures, et une expression apeurée passa sur le visage de la fillette.

"Mais je veux rester avec vous moi!"


Arwen eut un sourire attendrissant.

"Je le sais bien. Nous voulions juste t'expliquer pourquoi il est important que tu ailles à l'école, et que tu travailles bien. Tu feras un effort, d'accord?
-D'accord, dit-elle avec une certaine moue.
-Tu me le promets?
-Oui, je te le promets papa."

Il la prit dans ses bras, et la serra contre lui. Il n'avait encore jamais vu un enfant se faire retirer de sa famille pour cause de déscolarisation, mais ce n'était pas une raison pour ne pas prendre cette mesure au sérieux. Quelque chose lui disait que depuis qu'ils étaient revenus, les lois étaient devenus beaucoup plus drastiques...

Mieux valait donc surveiller de près les résultats de leur fille.


Cette dernière semblait bien contrariée par l'impératif d'aller à l'école. Elle y avait été les deux premiers jours de la semaine, puis, cela l'avait rapidement ennuyée.

"Pourquoi est-ce que j'irais dans un endroit que je n'aime pas? demanda-t-elle au canard en plastique qu'elle prenait dans son bain. C'est idiot! Depuis quand les gens doivent-ils faire ce qu'ils n'aiment pas?"

Le canard se contenta de flotter à la surface de l'eau, sans réponses.

"Moi je pense qu'on ne devrait faire que ce que l'on aime! Tu ne crois pas? Parce que la vie c'est fait pour s'amuser, pas pour travailler ou pour s'ennuyer! On devrait faire ce que l'on veut, et comme ça, personne ne serait triste! Ce serait trop bien!"

Mais les rêves utopiques de la fillette étaient bien loin d'être réalisables, c'était la raison pour laquelle on la forçait à aller s'instruire.


Pour la récompenser de ses efforts, Arwen et Sera avaient investi dans une table de jeux vidéo, la dernière tendance mise au point par le centre des progrès.

Il s'agissait d'une grande tablette, au bout de laquelle deux chaises étaient installées pour les joueurs. Ceux-ci devaient devaient contrôler un petit vaisseau lumineux, sans se faire tirer dessus par l'ennemi, et en récoltant le plus de points possibles.

Vitae avait tout de suite adoré ce jeu, si bien qu'elle y passait des heures lorsqu'elle était à la maison. Si cela l'avait incitée à aller un peu plus souvent à l'école, ce n'était pas pour autant un jeu qui l'aidait à faire ses devoirs. Au contraire, elle les délaissait toujours, et préférait jouer à son jeu préféré.

"Vitae, tu vas faire tes devoirs? disait toujours Arwen.
-Oui, oui, bientôt!"


"Non, j'aimerais que tu les fasses tout de suite!
-Mais tu vois bien que je suis occupée là! répliqua-t-elle en fronçant les sourcils.
-Tu vas me parler sur un autre ton s'il te plaît. Eteins-moi ce jeu, ou bien tu en seras privée pendant les jours à venir.
-Mais papa!
-Il n'y a pas de mais qui tienne. Fais tes devoirs, c'est important!
-Pffff!"

Elle éteignit rageusement le jeu, et croisa les bras en se ratatinant sur elle-même. Elle avait décidé de ne pas bouger de là, tant que Arwen continuerait de la fixer ainsi.

"Tu pourras y rejouer quand tu m'auras montré tes devoirs finis."

Il retourna à l'intérieur, la laissant bouder pendant encore un bon moment toute seule.


Ce n'était pourtant pas ça qui allait l'obliger à s'atteler à la tâche. Elle avait décidé qu'elle ne ferait pas son travail scolaire, aussi s'échappa-t-elle de la maison, alors que personne ne la surveillait.

Dehors, personne ne savait qu'elle n'avait pas fait ses devoirs, elle pouvait donc aller et venir sans aucun problème.

Ses pas l'arrêtèrent devant la maison de son oncle, Neven. Elle avait entendu ses parents en discuter souvent, le soir, quand ils pensaient qu'elle dormait bien sagement dans son lit. Elle avait appris à simuler le sommeil, et elle aimait par dessus tout les écouter parler. Leurs voix l'avaient toujours rassurée, peu importe le sujet dont ils s'entretenaient.

Il s'avérait que cet oncle était devenu bien plus raisonnable des règles qu'auparavant, et elle se disait qu'elle aurait bien aimé le connaître avant.


Elle s'apprêtait à faire demi tour, quand la porte de cette maison s'ouvrit: ce fut Julian qui en sortit, et il lui fit un geste de la main.

"Hey, salut!
-Ah, salut."

L'adolescent s'approcha d'elle, et elle se demanda ce qu'il voulait bien lui dire.

"On n'a pas vraiment eu le temps de faire connaissance tous les deux! dit-il en lui tendant la main. Et pourtant, nous sommes de la même famille! Je m'appelle Julian."

La fillette regarda la main tendue devant elle, avant de l'accepter et de la serrer. Elle lui offrit alors son plus beau sourire, avant de répondre:

"Je m'appelle Vitae! Et je ne devrais pas être ici, car je n'ai pas fait mes devoirs! ajouta-t-elle par provocation."


Julian sourit, mais ne lui dit rien, pas plus qu'il ne lui adressa un reproche. Tout en la fillette sentait la provocation, et cela ne l'étonnait pas qu'une nouvelle tête forte apparaisse dans la famille. Il espérait simplement que plus personne d'autre ne subirait le même sort que son père.

Ses cheveux blonds étaient déjà un pied-de-nez à ceux qui assuraient que la seule vraie couleur des natifs de Suvadiva, c'était le bleu. Jusqu'à très récemment encore, personne ne les avait eus d'une autre couleur, et on parlait déjà de la préparation des prochaines colonies. Julian n'aurait pas été surpris de savoir que lui et sa famille seraient choisis pour y embarquer.

Mais ce n'était pas la seule chose que l'on pouvait reprocher à Vitae. Son physique, passait encore, car ce n'était pas de sa faute. Mais son comportement rebelle et indigné en faisant parler plus d'un, et certains avaient même été choqués en constatant que ses parents l'avaient laissée s'habiller en rouge.

La couleur de l'île, c'était le bleu. Et pas le rouge.


"Et alors comme ça, tu ne te souviens pas du reste?
-Non, pas du tout! J'étais trop petite tu sais."

Julian avait conduit sa cousine à la plage, où ils avaient débuté la construction d'un grand château de sable. Elle lui avait alors raconté son histoire, comment ses parents avaient voyagé pour venir la chercher, et comment ils étaient revenus. Elle n'avait pas beaucoup de détails, mais le principal était là, et son cousin était bien étonné. Il n'avait jamais eu connaissance de cette histoire, on lui avait toujours raconté que Sera et Arwen étaient en pleine expérience au centre.

Il se garda bien de partager ses doutes avec Vitae, qu'il jugeait encore trop jeune pour toutes ces choses. Il était heureux de savoir que ses deux oncles n'avaient pas subi le même sort que son père, et il espérait que personne d'autre ne le serait.


Quand elle rentra à la maison, Vitae se fit gronder comme jamais. Elle était partie alors qu'on lui avait demandé de faire son travail, et elle avait volontairement désobéi. Arwen était furieux, et il l'avait priée de rester dans sa chambre, et qu'elle n'en sortirait cette fois-ci qu'à condition d'avoir vraiment fini ses devoirs.

Cette fois-ci, elle n'eut pas le choix, et elle dut se mettre à son bureau. Quand elle ouvrit les premières pages, elle crut qu'elle allait fondre en larmes, tant cela lui paraissait difficile. Elle passa plusieurs heures sur des exercices qui n'auraient du lui en demander qu'une tout au plus, et quand elle trouva la solution du dernier, c'est avec les yeux mouillés qu'elle apporta son cahier à Arwen.

Il prit un crayon, et vérifia que ce qu'elle avait fait était juste.

"Bien, tu peux aller t'amuser maintenant, finit-il par dire en refermant son cahier."

Tristement, Vitae s'installa devant la télévision. Il ne l'avait même pas félicitée pour son sans-fautes.


Ce fut Sera qui vint s'asseoir près d'elle, pour sécher les dernières larmes qui coulaient sur ses joues.

"C'était si difficile que ça? demanda-t-il.
-Oh oui! Et pourtant je n'ai pas fait de fautes, et il n'a rien dit!
-Peut-être que tu aurais du t'excuser de ton comportement, avant ça."

Il lui tendit un mouchoir, et elle essuya son visage.

"Tu vois, si tu as réussi à ne faire aucune faute, c'est que l'école est importante.
-Mais c'était long et inintéressant!
-On ne peut pas t'obliger à trouver ça super amusant, tu as raison. Mais plus tu iras à l'école, et moins ça te semblera difficile. Plus tu grandiras, et plus tu sauras de choses, et alors après, seulement après, tu seras en mesure de faire tout ce que tu veux."

Arwen les regardait discuter de loin, au coin de la porte.


Il aurait aimé être en mesure de lui expliquer ces choses-là, mais depuis qu'ils étaient revenus, il ne se sentait plus le même. Il avait l'impression d'être anxieux tout le temps, et un rien faisait monter sa tension. Et malheureusement, cela influait sur sa relation avec les autres.

Vitae se leva du canapé, et elle se dirigea vers lui.

"Papa, je suis vraiment désolée... dit-elle. Je vais essayer de faire des efforts!
-C'est bien ma chérie. Je ne voulais pas être méchant avec toi, je voulais simplement que tu comprennes.
-Je comprends...
-Tu sais que nous serons toujours là pour toi, mais il y a des choses contre lesquelles nous ne pouvons pas te protéger, parce que cela ne dépend pas de nous."

Elle hocha la tête.

"Dis, tu me racontes une histoire avant de dormir?"


Quand il revint dans le salon, Vitae s'était endormie. L'histoire n'avait pas duré très longtemps, elle était épuisée par sa journée.

Arwen soupira, et prit sa tête entre ses mains.

"Tu crois que j'ai été trop dur? demanda-t-il à Sera.
-Juste un peu autoritaire, mais elle comprend.
-J'aurais du lui expliquer tout ça lui simplement, mais...
-Il y a toujours un parent plus dur que l'autre, dans un couple, remarque Sera avec un sourire. Ne t'inquiète pas pour ça, je suis certain qu'elle ne t'en veut pas.
-Je l'espère.
-Il vaut mieux garder notre énergie pour d'autres choses, si tu vois ce que je veux dire..."

Il lui lança un regard appuyé.

"Tu as eu des nouvelles? demanda précipitamment Arwen."


"Quelques unes..."

Le visage habituellement si rieur de Sera s'assombrit, et les deux hommes s'enfermèrent dans leur chambre, pour être certains que personne ne pouvait les espionner.

"Et alors?
-Alors, ce n'est pas fameux... C'est peut-être même pire que ce que nous pensions."

Il pressa soudainement Arwen dans ses bras.

"J'ai peur, Arwen... J'ai peur de ne pas pouvoir offrir le meilleur futur qui soit à notre fille, et ça me terrifie.
-Moi aussi Sera... J'aimerais qu'elle puisse connaître un avenir serein et heureux, mais..."

2 commentaires:

  1. Suspens ! Alors là, pour une fois, je ne vois pas du tout où ils vont être entrainés vu qu'ils connaissent un avenir sombre, ça risque de les faire un peu trop réfléchir !

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